Si les salles de cinéma et les acteurs culturels ne sont pas ceux qui donnent de l’air, du souffle, de l’espace pour la pensée et la parole des enfants et des adolescents, qui le fera ?
Rencontre avec Brigitte Labbé : Secouer le cocotier
Nous, accompagnateurs en tout genre des publics jeunes auprès des films, pouvons créer un espace de liberté incroyable. Ce temps que nous pouvons donner à parler des films et à écouter la parole des enfants, est aussi précieux que la projection elle-même. C’est un temps qui peut devenir un espace de liberté, d’intelligence, de partage, bref, de vivre ensemble.
Nous avons discuté longuement mercredi avec Brigitte Labbé dont l’enthousiasme et la bonté nous ont ravis. Si Brigitte fait de la philosophie avec les enfants, c’est qu’elle rêve de faire d’eux des citoyens libres. Des citoyens qui aiment penser, s’interroger, se parler. Elle a partagé avec nous son expérience de la création d’une discussion vivante, sans « hors sujet », ni doigts à lever, ni jugement, ni stupidités.
Pas d’érudition nécessaire pour aimer penser et parler ensemble, plutôt un état d’être et une gymnastique de l’esprit. Philosopher avec des enfants, c’est dénicher des anecdotes dans notre quotidien qui permettent de partir du concret pour aller vers les concepts : on en profite pour vous dire que les livres de Brigitte en sont pleins !
Celui qui anticipe tous les dangers, ne verra jamais la mer…
Cf. Eric Cantona, dans un des films préférés des collégiens cette année Looking for Eric de Ken Loach.
Programmer un film en fonction d’un thème et vouloir enfermer une discussion autour d’une thématique est une fausse piste… On ne peut pas présupposer de tout ce qu’un film peut évoquer chez les enfants, ni le « ranger » dans une thématique, dans une petite boîte.
Ce qui nourrit la discussion n’est pas ce que dit le film mais ce que les spectateurs reçoivent. Il faut cerner le désir de parole du groupe, ce qu’ils ont perçu du film. Comment se préparer ?
Pour Brigitte, c’est d’abord un état d’être, une disponibilité, une écoute. C’est se dépouiller de l’idée qu’il y a un objectif derrière la discussion, un thème à traiter. Se rendre disponible, être présent, être soi-même. Les enfants ont en permanence affaire à des adultes qui tiennent des rôles, sont dans des cadres, font la morale. Changeons de position, soyons plus authentiques : imparfaits, émus, libres, parfois ignorants, avec nos limites. Entendre d’un adulte « je ne sais pas » donne de l’air aux enfants.
Penser que la parole des enfants doit être écoutée c’est aussi prendre le temps de réfléchir avec eux sur ce qu’ils font là. Pourquoi on est au cinéma ? Pourquoi voir tel ou tel film ?
Lorsque les enfants ou les adolescents sentent qu’on est humain, qu’on est authentique, ils le sont aussi. Brigitte raconte qu’il lui est déjà arrivé de dire à toute une salle qu’elle était trop émue à la fin d’un film pour prendre la parole et la laisser à qui veut. Être vrai, montrer son plaisir ou sa passion pour un sujet, un questionnement ou la beauté d’un film. Ce que l’on partage avec les enfants et les ados dans nos salles, c’est notre cinéphilie et notre plaisir du partage.
Le plaisir !
Se saisir de chaque comportement, utiliser les débordements, les rires, les soupirs, les provocations comme point de départ d’une discussion. Laisser le « bazar » s’installer jusqu’à épuisement des enfants ou des adolescents eux-mêmes ! Aller au bout de leur parole, se saisir de ce qui nous choque, le questionner, déconstruire ensemble les a priori, les préjugés, vider de leur sens par le questionnement des phrases telles que « ce personnage, il a une tête de juif »… Ne pas juger, demander : « c’est quoi une tête de juif ? » et dérouler, décortiquer les mots pour faire apparaître le vide. Ne pas dire la violence c’est mal, mais demander « la violence, c’est quoi ? » « Pourquoi on peut avoir envie d’être violent ? »
Lâcher prise, leur faire confiance. Finalement, qu’est-ce qu’on risque ?
Les enfants ne sont pas des cons !
Raconter des histoires, des anecdotes qui questionnent, être théâtral, jouer : « ça vous fait quoi deux filles qui s’embrassent ? » et laisser tout sortir, tout se dire. Laisser tout sortir jusqu’aux pires horreurs et qu’elles effraient d’elles-mêmes ceux qui les disent. Il ne faut pas avoir peur, il faut faire confiance aux enfants et aux ados, faire confiance à leur raison.
La salle de cinéma doit être un espace de parole libre qu’il nous appartient de créer à nous animateurs. La salle de cinéma n’est pas l’école, ni la famille, ni la rue. C’est un espace de liberté, de pensée, de créativité, de beauté, un espace vivant, qui bouge et où tout peut se dire et s’écouter.
Emilie Desruelle